Ribellazione ! - Acte 1

Une petit résumé de 2018

3 jours pour débattre et imaginer la Corse de demain dans
une ambiance festive et conviviale !

Avec ses débats, ses rencontres off et ses balades pédagogiques, Ribellazione! Acte 1 (2018), le premier festival Slow Food de Corse, fut l’occasion de dresser un constat alarmant sur l’état de la biodiversité, de pointer les obstacles inhérents à la Corse qui empêchent de la protéger, alors même que l’île, de par ses paysages et son patrimoine possède tous les atouts pour devenir un laboratoire agricole et gastronomique vertueux.
Des solutions existent, encore faut-il s’en donner les moyens et s’entendre sur un socle agricole commun à l’échelle planétaire.

Julien Paolini, maître de conférence à l’Université de Corte et élu territorial, a rappelé que les espèces disparaissent 1000 fois plus vite que depuis que l’homme existe, un taux inégalé, et que l’humanité est en train de provoquer une extinction de masse. En clair, la biodiversité crève littéralement du réchauffement climatique liée à la pression démographique, au tourisme de masse, à l’explosion de la production des déchets, à des pratiques agricoles suicidaires. Nous serons bientôt plus de 9 milliards d’individus sur la planète, aussi est-il temps de répondre à une question simple : que voulons-nous? 
A priori, durer. Or pour durer, a insisté Arnaud Daguin, chef activiste, chroniqueur sur France Inter et porte-parole du mouvement Pour une agriculture du vivant, « il faut une terre qui nous accueille -le gîte- et une terre qui nous nourrisse -le couvert. Nous devons sortir de l’involution enclenchée depuis le néolithique, qui confond production et productivisme, fertilité et fertilisation. La biodiversité, soit tu la produis, soit tu la détruis! 

Il est temps de passer par une forme de résilience pour que l’outil de production nous nourrissent et se nourrisse lui-même : ce que nous mangeons nous constitue et dessine notre monde. » Faire le lien, donc, entre le produit que nous retrouvons dans notre assiette et le développement d’un territoire. « Or, lorsque que l’on pense le développement et l’évolution d’un territoire, a rappelé Sébastien Celeri, architecte du patrimoine et président de l’Ordre des architectes de Corse, il s’agirait de penser au futur, au monde que nous bâtissons pour les prochaines générations. Ici, depuis 2000 ans, c’est l’agriculture qui a façonné les paysages. Une agriculture de la biodiversité peut être un projet de société pour la Corse, encore faut-il abandonner cette évolution territoriale attachée à un système de consommation capitaliste et un modèle de spéculation immobilière, deux écueils qui alimentent les dangers qui nous menacent. » Autre écueil pour le député de la Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, qui a crée une association pastorale dans son village, une idée qui pourrait être déclinée sur l’ensemble du territoire insulaire, « la spéculation administrative: l’UE se comporte comme un syndicat de co-propriétaires. Il faut absolument changer les paradigmes de la PAC qui reviennent à donner de l’alcool aux Indiens et nous tuent à petit feu. Il est temps de réagir, de réguler certaines pratiques agricoles voire d’interdire certains permis de construire. De laisser des compétences aux collectivités pour qu’elles protègent le patrimoine. Et enfin, de devenir responsable collectivement et individuellement pour transmettre aux nouvelles générations. » Transmettre la culture de notre survivance.
Et il y a urgence : « le territoire corse, tel que je le vois aujourd’hui, dans 25 ans, il ne produira plus rien » a alerté Alain Canet. Guy Maestracci, viticulteur de Patrimonio, nous invite à appliquer la métaphore de l’âne : penser les paysages et l’occupation des sols de la même manière qu’on pense les charges des ânes. En fonction de la route et du point de destination et de l’objectif visé. En gros, avec bon sens et respect de la bête, ici, en l’occurence la terre. « L’agriculture est l’avenir de l’homme. Le bonheur de la Corse ne passera pas par sa bétonnisation : ses forêts et ses montagnes sont encore la Belle aux bois dormant, délaissée aujourd’hui, mais qui sera réveillée demain. Et l’île a un rôle à jouer, car elle a été préservée. »

La Corse, un laboratoire de la Méditerranée ?

La Méditerranée possède une biodiversité et une richesse endémique importante qu’il s’agit de protéger. Il existe des initiatives positives. Catherine Riera, élue territoriale et directrice de la communication de Gloria Maris qui pratique l’élevage en mer, a raconté l’aventure des fermes aguacoles en Corse devenues, depuis, le modèle européen en matière traçabilité, de qualité et de maîtrise de la chaîne. « Contrairement à certains saumons, dit-elle, nos poissons ne sont pas shootés aux antibiotiques pour la plus joie de notre alimentation, nous démontrons chaque jour que l’élevage n’est pas nécessairement négatif, à condition d’évaluer les pratiques et de co-construire avec un maximum d’acteurs. Là, la Corse a une place à prendre ». Encore faut-il s’assurer de garder ses eaux saines. L’exemple que la biodiversité, la biologie et l’agriculture comme l’aquaculture, même intensifs, peuvent être complémentaires.
De son côté, Marc-Paul Luciani, directeur du CROUS de l’Université de Corte, qui distribue 700 repas par jour en moyenne à 3,25 euros a lancé une journée hebdomadaire consacrée au « manger corse » qui privilégie les circuits courts, fait appel aux agriculteurs locaux pour livrer des produits de qualité. Il souhaiterait se diriger vers une restauration bio et local, mais regrette son coût trop élevé, l’irrégularité dans l’approvisionnement, les difficultés à trouver des légumes d’hiver et le problème du gaspillage. Mathieu Marfisi, lui, président des vins AOP de Patrimonio, la plus ancienne AOP de Corse obtenue en 1968, site classé et protégé qui couvre 500 hectares er 40 vignerons, voudrait passer au 100% bio dans la viticulture, mais déplore que « le bio n’est pas parfait pour les sols, car tout le travail de la terre les appauvrit ».
Manger bio, bon, local et de saison est encore aujourd’hui une utopie gastronomique casse-gueule, car on peut manger local et manger de la merde, cultiver bio et massacrer les sols. Or, l’urgence en Corse comme ailleurs, est de sauver les sols.

Le point de vue de l’agronome des sols vivants :

Comment désherber sans tuer les sols ?
-En janvier, pour empêcher la photosynthèse, on couvre les sols avec une bâche plastique ou organique (paillage de chanvre par exemple): le système racinaire meurt.
-En avril on fait un trou dans la bâche et on plante (il existe des tas de produits bio contre les limaces).
-L’année d’après, on replante dans les mêmes trous. Idem les deux années suivantes, en complétant
avec de la matière organique qui est le moteur de la matière organique.

François Mulet

agronome des sols vivants

La solution : l’agroforestie et l’agroécologie, en culture bio comme en conventionnelle

« On mange un paysage dans son assiette, a insisté Alain Canet, directeur d’Arbre & Paysage 32 et agronome du mouvement Pour une Agriculture du Vivant, il est donc vital de s’interroger sur ce que produit l’agriculture et sur la manière, dont ensemble on bâtit une agriculture qui produise de la biodiversité, et la protège par la même occasion. Nous devons nous entendre sur sur une vision commune à grande échelle, sur un modèle à suivre pour notre survivance, et ce modèle, c’est celui de la fertilité. Or un sol fertile, ce sont des vers de terre, de l’eau et des racines. » Pendant longtemps la Corse fut agroforestière car on cultivait sous les arbres. Il faudrait donc se réaculturer, réapprendre à se nourrir de la forêt et remettre les arbres à leur juste place comme outil de production dans la chaine alimentaire. « La nature a horreur du vide et passe son temps à essayer de refaire pousser une forêt, ce qui commence toujours par des mauvaises herbes que nous passons, nous, notre temps à tenter d’exterminer avec des outils qui massacrent les sols, poursuit François Mulet, maraicher et fondateur du réseau Maraichages Sol Vivant, or c’est le sol qui dessine le reste ».

Outre la charrue et les tracteurs, l’ennemi numéro 1 des sols, c’est le soleil : un sol qui voit le soleil meurt à petit feu. D’où la fonction vitale de cultiver en permaculture, cette technique qui consiste à faire en sorte que la lumière ne touche pas les sols et d’institutionnaliser un label pour une Agriculture du Vivant, afin de ne peut plus envisager les choses de manière fractionnée et de s’entendre à grande échelle sur des pratiques agricoles vertueuses.
Un défi est colossal, mais vital.